La 19e édition du Festival du Film Coréen à Paris avait lieu du 29 octobre au 5 novembre 2024. Parmi les 10 films en compétition se trouvait “Lucky, Apartment”, de la réalisatrice Kangyu Garam.

Dans un complexe résidentiel où les vies se croisent sans jamais vraiment se rencontrer, Seon-woo et Hee-seo, un couple de femmes, emménagent dans ce qui semble être leur havre de paix. Mais le quotidien tranquille bascule lorsque Seon-woo, immobilisée chez elle après un accident du travail, commence à percevoir une odeur insoutenable émanant de l’appartement du dessous. Elle est la seule à être incommodée par cette puanteur étrange. En fouillant, Seon-woo découvre que la mystérieuse odeur provient du corps sans vie d’une voisine, morte seule et oubliée de tous. Alors qu’elle tente de percer le mystère de cet abandon, elle se heurte à un mur d’indifférence et de silence parmi les habitants…

À mi-chemin entre réalité et fiction sociale, ce film queer souligne avec force l’importance de la tolérance et de la solidarité. Lors de sa venue à Paris pour présenter son œuvre, nous avons eu l’occasion d’en discuter avec la réalisatrice Kangyu Garam.

Marie-Line El Haddad : Qu’est-ce qui vous a inspirée pour réaliser « Lucky, Apartment » ? Est-ce qu’il y a une histoire personnelle derrière ce projet ?

Kangyu Garam : Un jour, une amie m’a raconté une expérience troublante. Elle vivait dans un immeuble neuf, tout juste rénové. Un jour, elle s’est plainte d’une odeur étrange venant de l’appartement du dessous. Bizarrement, personne dans le voisinage ne semblait la remarquer. Finalement, nous avons découvert que l’odeur provenait d’un voisin décédé, laissé seul pendant longtemps. Ce complexe résidentiel imposant m’a fait réfléchir : les habitants avaient-ils intentionnellement ignoré ce problème ? C’est ainsi que le scénario de « Lucky, Apartment » a commencé à prendre forme.

Quel message souhaitiez-vous transmettre à travers ce film ?

Dans la société coréenne, posséder un appartement est non seulement un espace de vie mais aussi un rêve, un symbole d’aspiration sociale. On s’imagine souvent que ces appartements sont habités par des couples hétérosexuels ou des personnes conformes à des normes « classiques ». Mais j’ai voulu montrer que des minorités sexuelles y vivent également, et que la société devrait devenir plus inclusive. La solitude de cet homme décédé symbolise aussi le besoin de solidarité dans notre société, un appel à ne pas ignorer ceux qui en ont besoin.

Quels ont été les principaux défis rencontrés lors du tournage de « Lucky, Apartment » ?

Je viens du documentaire, où j’ai évolué pendant près de dix ans, et passer à la fiction représentait un vrai défi. Le documentaire capture la réalité, tandis que la fiction crée un univers imaginé. Au début, j’ai dû faire preuve d’une créativité nouvelle pour moi. Travailler avec des acteurs, diriger des performances, c’était un changement : dans les documentaires, je dialogue beaucoup avec les personnes filmées, mais ici, il fallait guider les acteurs vers l’interprétation. Ce fut à la fois exigeant et particulièrement gratifiant.

© FFCP 2024 – Une scène tirée du film “Lucky, Apartment”

Le titre du film est assez ironique. Pouvez-vous expliquer ce choix ?

Le premier titre de travail était « Ta maison et la mienne », mais il ne collait pas au propos. Je voulais dépeindre un couple aspirant à la normalité, au bonheur, et pour moi, le mot « Lucky » incarnait ce rêve. Mais il y a une ironie, car le couple dans le film est tout sauf heureux, avec des tensions qui éclatent. En Corée, de grands complexes résidentiels portent souvent des noms comme « Lucky Apartments » ; c’est pourquoi j’ai insisté sur la virgule après « Lucky », pour éviter toute confusion avec les véritables « Lucky Apartments ».

Vous venez du documentaire, et cela se ressent dans votre film. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre la réalité et votre vision artistique ?

Bien que ce soit une fiction, il était important d’y intégrer une part de réalité. Par exemple, j’ai fait beaucoup de recherches sur les prix des appartements, les profils de leurs habitants, afin que le contexte soit crédible. Ce qui était nouveau pour moi, c’était de transposer des émotions comme la peur à l’écran, à travers les rêves, les couleurs, l’ambiance. J’ai aussi voulu évoquer le climat de haine vis-à-vis des minorités sexuelles, que l’on peut observer sur des forums en Corée, surtout durant la pandémie. Cette dimension s’inspire directement de faits réels.

L’homosexualité en Corée est un sujet sensible. Pourquoi l’avoir choisi pour votre premier film de fiction ?

Cela faisait un moment que je réfléchissais aux questions d’habitat et de solitude. L’expérience de mon amie m’a donné l’impulsion pour explorer ce sujet. En 2019-2020, j’ai commencé à préparer un dossier et à chercher des subventions. C’est à ce moment-là que j’ai découvert que plusieurs films queer étaient en préparation. Cette tendance m’a montré que la société est en pleine transformation et que les créateurs sont sensibles à ces évolutions.

© Marie-Line El Haddad – La réalisatrice Kangyu Garam

Y a-t-il d’autres aspects de la société coréenne que vous aimeriez explorer dans vos futurs projets ?

Jusqu’ici, j’ai surtout abordé des thèmes féministes, et cela continue de m’interpeller, notamment les effets de ces mouvements sur notre quotidien. Avant « Lucky, Apartment », j’avais réalisé un documentaire intitulé « After #MeToo ». Un jour, en voyant un documentaire sur les élèves victimes du mouvement #MeToo, j’ai pensé que ce serait un sujet intéressant à traiter en fiction. Bien que l’autorité des enseignants reste forte en Corée, il serait pertinent de prêter attention aux impacts de ce mouvement dans les écoles.

Avez-vous envie d’explorer d’autres genres, comme le court-métrage ou l’animation ?

Absolument ! Mon premier film de fiction était d’ailleurs un court-métrage. Si je trouve un sujet qui convient bien à ce format, je serais ravie de m’y replonger.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes réalisatrices en Corée ?

J’ai moi-même commencé tard, après des études hors du domaine du cinéma. Je pense qu’il y a de nombreux chemins pour devenir réalisatrice, même sans passer par une école de cinéma. Cela dit, suivre une formation reste un vrai atout. Mon parcours s’est construit en partie grâce à un cercle de production et à des cours ouverts au grand public. Ces éléments m’ont permis de faire mes premiers pas. Mon conseil serait de chercher des opportunités de formation, car c’est un vrai tremplin.

La 19e édition du Festival du Film Coréen à Paris, c’est fini ! Rendez-vous l’année prochaine pour la 20e édition du Festival, toutes les infos sont à suivre sur leur site Internet ou leurs réseaux sociaux.

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Posted by:Marie-Line El Haddad

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